MAXIMILIEN ROBESPIERRE AND THE
FRENCH NATIONAL CONVENTION
Les Principes de Morale Politique
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Maximilien de Robespierre.
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Robespierre's speech Sur les principes
de morale politique.
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King Louis XVI.
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depicts the National Convention assembling on a different
occasion (that of Louis XVI before the National Convention
in 1792). But it will help to imagine the atmosphere in
which Robespierre's speech was delivered.
It follows the French full text transcript of Maximilien Robespierre's
speech Sur les principes de morale politique, delivered before the National Convention in Paris,
France - February 5, 1794.
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excerpt of the English translation.
|
Citoyens représentants du peuple,
Nous avons exposé, il y a quelque temps, les
principes de notre politique extérieure : nous
venons développer aujourd’hui les principes de
notre politique intérieure. |
Après avoir marché longtemps au hasard, et
comme emportés par le mouvement des factions
contraires, les représentants du peuple français
ont enfin montré un caractère et un gouvernement.
Un changement subit dans la fortune de la
nation, annonça à l’Europe la régénération qui
s’était opérée dans la représentation nationale.
Mais, jusqu’au moment même où je parle, il faut
convenir que nous avons été plutôt guidés, dans
des circonstances si orageuses, par l’amour du
bien et par le sentiment des besoins de la
Patrie, que par une théorie exacte et des règles
précises de conduite, que nous n’avions pas même
le loisir de tracer.
Il est temps de marquer nettement le but de la
Révolution, et le terme où nous voulons arriver
; il est temps de nous rendre compte à nous-mêmes,
et des obstacles qui nous en éloignent encore,
et des moyens que nous devons adopter pour
l’atteindre : une idée simple et importante qui
semble n’avoir jamais été aperçue. Eh ! comment
un gouvernement lâche et corrompu aurait-il osé
la réaliser ? Un roi, un sénat orgueilleur, un
César, un Cromwell, doivent avant tout couvrir
leurs projets d’un voile religieux, transiger
avec tous les vices, caresser tous les partis,
écraser celui des gens de bien, opprimer ou
tromper le peuple, pour arriver au but de leur
perfide ambition. Si nous n’avions pas eu une
plus grande tâche à remplir, s’il ne s’agissait
ici que des intérêts d’une faction ou d’une
aristocratie nouvelle, nous aurions pu croire
comme certains écrivains, plus ignorants encore
que pervers, que le plan de la Révolution était
écrit en toutes lettres dans les livres de
Tacite et de Machiavel, et chercher les devoirs
des représentants du peuple dans l’histoire
d’Auguste, de Tibère ou de Vespasien, ou même
dans celle de certains législateurs français ;
car, à quelques nuances près de perfidie ou de
cruauté, tous les tyrans se ressemblent.
Pour nous, nous venons aujourd’hui mettre
l’univers dans la confidence de vos secrets
politiques, afin que tous les amis de la patrie
puissent se rallier à la voix de la raison et de
l’intérêt public ; afin que la nation française
et ses représentants soient respectés dans tous
les pays de l’univers où la connaissance de
leurs véritables principes pourra parvenir ;
afin que les intrigants qui cherchent toujours à
remplacer d’autres intrigants, soient jugés par
l’opinion publique, sur des règles sûres et
faciles.
Il faut prendre de loin ses précautions pour
remettre les destinées de la liberté dans les
mains de la vérité qui est éternelle, plus que
dans celle des hommes qui passent, de manière
que si le gouvernement oublie les intérêts du
peuple, ou qu’il retombe entre les mains des
hommes corrompus, selon le cours naturel des
choses, la lumière des principes reconnus
éclaire ses trahisons, et que toute faction
nouvelle trouve la mort dans la seule pensée du
crime.
Heureux le peuple qui peut arriver à ce point !
car, quelques nouveaux outrages qu’on lui
prépare, quelles ressources ne présente pas un
ordre des choses où la raison publique est la
garantie de la liberté !
Quel est le but où nous tendons ? la jouissance
paisible de la liberté et de l’égalité ; le
règne de cette justice éternelle, dont les lois
ont été gravées, non sur le marbre ou sur la
pierre, mais dans les cœurs de tous les hommes,
même dans celui de l’esclave qui les oublie, et
du tyran qui les nie.
Nous voulons substituer, dans notre pays, la
morale à l’égoïsme, la probité à l’honneur, les
principes aux usages, les devoirs aux
bienséances, l’empire de la raison à la tyrannie
de la mode, le mépris du vice au mépris du
malheur, la fierté à l’insolence, la grandeur
d’âme à la vanité, l’amour de la gloire à
l’amour de l’argent, les bonnes gens à la bonne
compagnie, le mérite à l’intrigue, le génie au
bel esprit, la vérité à l’éclat, le charme du
bonheur aux ennuis de la volupté, la grandeur de
l’homme à la petitesse des grands, un peuple
magnanime, puissant, heureux, à un peuple
aimable, frivole et misérable, c’est-à-dire,
toutes les vertus et tous les miracles de la
République, à tous les vices et à tous les
ridicules de la monarchie.
Nous voulons, en un mot, remplir les vœux de la
nature, accomplir les destins de l’humanité,
tenir les promesses de la philosophie, absoudre
la providence du long règne du crime et de la
tyrannie. Que la France, jadis illustre parmi
les pays esclaves, éclipsant la gloire de tous
les peuples libres qui ont existé, devienne le
modèle des nations, l’effroi des oppresseurs, la
consolation des opprimés, l’ornement de
l’univers, et qu’en scellant notre ouvrage de
notre sang, nous puissions voir briller au moins
l’aurore de la félicité universelle… Voilà notre
ambition, voilà notre but.
Quelle nature de gouvernement peut réaliser ces
prodiges ? Le seul gouvernement démocratique ou
républicain : ces deux mots sont synonymes,
malgré les abus du langage vulgaire ; car
l’aristocratie n’est pas plus la république que
la monarchie. La démocratie n’est pas un état où
le peuple, continuellement assemblé, règle par
lui-même toutes les affaires publiques, encore
moins celui où cent mille fractions du peuple,
par des mesures isolées, précipitées et
contradictoires, décideraient du sort de la
société entière : un tel gouvernement n’a jamais
existé, et il ne pourrait exister que pour
ramener le peuple au despotisme.
La démocratie est un état où le peuple souverain,
guidé par des lois qui sont son ouvrage, fait
par lui-même tout ce qu’il peut bien faire, et
par des délégués tout ce qu’il ne peut faire
lui-même.
C’est donc dans les principes du gouvernement
démocratique que vous devez chercher les règles
de votre conduite politique.
Mais, pour fonder et pour consolider parmi nous
la démocratie, pour arriver au règne paisible
des lois constitutionnelles, il faut terminer la
guerre de la liberté contre la tyrannie, et
traverser heureusement les orages de la
Révolution : tel est le but du système
révolutionnaire que vous avez régularisé. Vous
devez donc encore régler votre conduite sur les
circonstances orageuses où se trouve la
République ; et le plan de votre administration
doit être le résultat de l’esprit du
gouvernement révolutionnaire, combiné avec les
principes généraux de la démocratie.
Or, quel est le principe fondamental du
gouvernement démocratique ou populaire, c’est-à-dire,
le ressort essentiel qui le soutient et qui le
fait mouvoir ? C’est la vertu ; je parle de la
vertu publique qui opéra tant de prodiges dans
la Grèce et dans Rome, et qui doit en produire
de bien plus étonnant dans la France
républicaine ; de cette vertu qui n’est autre
chose que l’amour de la patrie et de ses lois.
Mais comme l’essence de la République ou de la
démocratie est l’égalité, il s’ensuit que
l’amour de la patrie embrasse nécessairement
l’amour de l’égalité.
Il est vrai encore que ce sentiment sublime
suppose la préférence de l’intérêt public à tous
les intérêts particuliers ; d’où il résulte que
l’amour de la patrie suppose encore ou produit
toutes les vertus : car sont-elles autre chose
que la force de l’âme qui rend capable de ces
sacrifices ? et comment l’esclave de l’avarice
et de l’ambition, par exemple, pourrait-il
immoler son idole à la patrie ?
Non-seulement la vertu est l’âme de la
démocratie ; mais elle ne peut exister que dans
ce gouvernement. Dans la monarchie, je ne
connais qu’un individu qui peut aimer la patrie,
et qui, pour cela, n’a pas même besoin de vertu
; c’est le monarque. La raison en est que de
tous les habitants de ses états, le monarque est
le seul qui ait une patrie. N’est-il pas le
souverain, au moins de fait ? N’est-il pas à la
place du peuple ? Et qu’est-ce que la patrie, si
ce n’est le pays où l’on est citoyen et membre
du souverain ?
Par une conséquence du même principe, dans les
états aristocratiques, le mot patrie ne signifie
quelque chose que pour les familles patriciennes
qui ont envahi la souveraineté.
Il n’est que la démocratie où l’Etat est
véritablement la patrie de tous les individus
qui le composent, et peut compter autant de
défenseurs intéressés à sa cause qu’il renferme
de citoyens. Voilà la source de la supériorité
des peuples libres sur tous les autres. Si
Athènes et Sparte ont triomphé des tyrans de
l’Asie, et les Suisses, des tyrans de l’Espagne
et de l’Autriche, il n’en faut point chercher
d’autre cause.
Mais les Français sont le premier peuple du
monde qui ait établi la véritable démocratie, en
appelant tous les hommes à l’égalité et à la
plénitude des droits du citoyen ; et c’est là, à
mon avis, la véritable raison pour laquelle tous
les tyrans ligués contre la République seront
vaincus.
Il est dès ce moment de grandes conséquences à
tirer des principes que nous venons d’exposer.
Puisque l’âme de la République est la vertu,
l’égalité, et que votre but est de fonder, de
consolider la République, il s’ensuit que la
première règle de votre conduite politique doit
être de rapporter toutes vos opérations au
maintien de l’égalité et au développement de la
vertu ; car le premier soin du législateur doit
être de fortifier le principe du gouvernement.
Ainsi tout ce qui tend à exciter l’amour de la
patrie, à purifier les mœurs, à élever les âmes,
à diriger les passions du cœur humain vers
l’intérêt public, doit être adopté ou établi par
vous. Tout ce qui tend à les concentrer dans
l’abjection du moi personnel, à réveiller
l’engouement pour les petites choses et le
mépris des grandes, doit être rejeté ou réprimé
par vous. Dans le système de la Révolution
française, ce qui est immoral est impolitique,
ce qui est corrupteur est contre-révolutionnaire.
La faiblesse, les vices, les préjugés, sont le
chemin de la royauté. Entraînés trop souvent
peut-être par le poids de nos anciennes
habitudes, autant que par la pente insensible de
la faiblesse humaine, vers les idées fausses et
vers les sentiments pusillanimes, nous avons bien
moins à nous défendre des excès d’énergie que
des excès de faiblesse. Le plus grand écueil
peut-être que nous avons à éviter n’est pas la
ferveur du zèle, mais plutôt la lassitude du
bien, et la peur de notre propre courage.
Remontez donc sans cesse le ressort sacré du
gouvernement républicain, au lieu de le laisser
tomber. Je n’ai pas besoin de dire que je ne
veux justifier ici aucun excès ; c’est à la
sagesse du gouvernement à consulter les
circonstances, à saisir les moments, à choisir
les moyens ; car la manière de préparer les
grandes choses est une partie essentielle du
talent de les faire, comme la sagesse est
elle-même une partie de la vertu.
Nous ne prétendons pas jeter la République
française dans le moule de celle de Sparte ;
nous ne voulons lui donner ni l’austérité, ni la
corruption des cloîtres. Nous venons de vous
présenter, dans toute sa pureté, le principe
moral et politique du gouvernement populaire.
Vous avez donc une boussole qui peut vous
diriger au milieu des orages de toutes les
passions, et du tourbillons des intrigues qui
vous environnent. Vous avez la pierre de touche
par laquelle vous pouvez essayer toutes vos lois,
toutes les propositions qui vous sont faites. En
les comparant sans cesse avec ce principe, vous
pouvez désormais éviter l’écueil des grandes
assemblées, le danger des surprises et des
mesures précipitées, incohérentes et
contradictoires. Vous pourrez donner à toutes
vos opérations l’ensemble, l’unité, la sagesse
et la dignité qui doivent annoncer les
représentants du premier peuple du monde.
Ce ne sont pas les conséquences faciles du
principe de la démocratie qu’il faut détailler,
c’est ce principe simple et fécond qui mérite
d’être lui-même développé.
La vertu républicaine peut-être considérée par
rapport au peuple, et par rapport au
gouvernement : elle est nécessaire dans l’un et
dans l’autre. Quand le gouvernement seul en est
privé, il reste une ressource dans celle du
peuple ; mais, quand le peuple lui-même est
corrompu, la liberté est déjà perdue.
Heureusement la vertu est naturelle au peuple,
en dépit des préjugés aristocratiques. Une
nation est vraiment corrompue, lorsqu’après
avoir perdu, par degrés, son caractère et sa
liberté, elle passe de la démocratie à
l’aristocratie ou à la monarchie ; c’est la mort
du corps politique, par la décrépitude.
Lorsqu’après quatre cents ans de gloire,
l’avarice a enfin chassé de Sparte les mœurs
avec les lois de Lycurgue, Agis meurt en vain
pour les rappeler. Démosthène a beau tonner
contre Philippe, Philippe trouve dans les vices
d’Athènes dégénérée des avocats plus éloquents
que Démosthène. Il y a bien encore, dans Athènes,
une population aussi nombreuse que du temps de
Miltiade et d’Aristide ; mais il n’y a plus
d’Athéniens. Qu’importe que Brutus ait tué le
tyran ? La tyrannie vit encore dans les cœurs,
et Rome n’existe plus que dans Brutus.
Mais, lorsque par des efforts prodigieux de
courage et de raison, un peuple brise les
chaînes du despotisme, pour en faire des
trophées à la liberté ; lorsque par la force de
son tempérament moral ,il sort, en quelque sorte,
des bras de la mort pour reprendre toute la
vigueur de la jeunesse ; lorsque, tour-à-tour
sensible et fier, intrépide et docile, il ne
peut être arrêté ni par les remparts
inexpugnables, ni par les armées innombrables
des tyrans armés contre lui, et qu’il s’arrête
lui-même devant l’image de la loi ; s’il ne
s’élance pas rapidement à la hauteur de ses
destinées, ce ne pourrait être que la faute de
ceux qui le gouvernent.
D’ailleurs on peut dire, en un sens, que pour
aimer la justice et l’égalité, le peuple n’a pas
besoin d’une grande vertu ; il lui suffit de
s’aimer lui-même.
Mais le magistrat est obligé d’immolé son
intérêt à l’intérêt du peuple, et l’orgueil du
pouvoir à l’égalité. Il faut que la loi parle
surtout avec empire à celui qui en est l’organe.
Il faut que le gouvernement pèse sur lui-même,
pour tenir toutes ses parties en harmonie avec
elle. S’il existe un corps représentatif, une
autorité première, constituée par le peuple,
c’est à elle de surveiller et de réprimer sans
cesse tous les fonctionnaires publics. Mais qui
la réprimera elle-même, sinon sa propre vertu ?
Plus cette source de l’ordre public est élevée,
plus elle doit être pure ; il faut donc que le
corps représentatif commence par soumettre dans
son sein toutes les passions privées à la
passion générale du bien public. Heureux les
représentants, lorsque leur gloire et leur
intérêt même les attachent, autant que leurs
devoirs, à la cause de la liberté.
Déduisons de tout ceci une grande vérité ; c’est
que le caractère du gouvernement populaire est
d’être confiant dans le peuple, et sévère envers
lui-même.
Ici se bornerait tout le développement de notre
théorie, si vous n’aviez qu’à gouverner dans le
calme le vaisseau de la République : mais la
tempête gronde ; et l’état de la révolution où
vous êtes vous impose une autre tâche.
Cette grande pureté des bases de la Révolution
française, la sublimité même de son objet est
précisément ce qui fait notre force et notre
faiblesse ; notre force, parce qu’il nous donne
l’ascendant de la vérité sur l’imposture, et les
droits de l’intérêt public sur les intérêts
privés ; notre faiblesse, parce qu’il rallie
contre nous tous les hommes vicieux, tous ceux
qui dans leurs cœurs méditaient de dépouiller
le peuple, et tous ceux qui veulent l’avoir
dépouillé impunément, et ceux qui ont repoussé
la liberté comme une calamité personnelle, et
ceux qui ont embrassé la révolution comme un
métier et la République comme une proie : de-là
la défection de tant d’hommes ambitieux ou
cupides, qui, depuis le point du départ, nous
ont abandonné sur la route, parce qu’ils
n’avaient pas commencé le voyage pour arriver au
même but. On dirait que les deux génies
contraires que l’on a représenté se disputant
l’empire de la nature, combattent dans cette
grande époque de l’histoire humaine, pour fixer
sans retour les destinées du monde, et que la
France est le théâtre de cette lutte redoutable.
Au dehors tous les tyrans vous cernent au dedans
tous les amis de la tyrannie conspirent : ils
conspireront jusqu’à ce que l’espérance ait été
ravie au crime. Il faut étouffer les ennemis
intérieurs et extérieurs de la République, ou
périr avec elle ; or, dans cette situation, la
première maxime de votre politique doit être
qu’on conduit le peuple par la raison, et les
ennemis du peuple par la terreur.
Si le ressort du gouvernement populaire dans la
paix est la vertu, le ressort du gouvernement
populaire en révolution est à la fois la vertu
et la terreur : la vertu, sans laquelle la
terreur est funeste ;la terreur, sans laquelle
la vertu est impuissante. La terreur n’est autre
chose que la justice prompte, sévère, inflexible
; elle est donc une émanation de la vertu ; elle
est moins un principe particulier, qu’une
conséquence du principe général de la démocratie,
appliqué aux plus pressants besoins de la patrie.
On a dit que la terreur était le ressort du
gouvernement despotique. Le vôtre ressemble-t-il
donc au despotisme ? Oui, comme le glaive qui
brille dans les mains des héros de la liberté,
ressemble à celui dont les satellites de la
tyrannie sont armés. Que le despote gouverne par
la terreur ses sujets abrutis ; il a raison,
comme despote : domptez par la terreur les
ennemis de la liberté ; et vous aurez raison
comme fondateurs de la République. Le
gouvernement de la Révolution est le despotisme
de la liberté contre la tyrannie. La force
n’est-elle faite que pour protéger le crime ? et
n’est-ce pas pour frapper les têtes
orgueilleuses que la foudre est destinée ?
La nature impose à tout être physique et moral
la loi de pourvoir à sa conservation ; le crime
égorge l’innocence pour régner, et l’innocence
se débat de toutes ses forces dans les mains du
crime. Que la tyrannie règne un seul jour, le
lendemain il ne restera plus un patriote.
Jusqu’à quand la fureur des despotes sera-t-elle
appelée justice, et la justice du peuple,
barbarie ou rébellion ? Comme on est tendre pour
les oppresseurs, et inexorables pour les
opprimés ! Rien de plus naturel : quiconque ne
hait point le crime, ne peut aimer la vertu.
Il faut cependant que l’un ou l’autre succombe.
Indulgence pour les royalistes, s’écrient
certaines gens. Grâce pour les scélérats ! Non :
grâce pour l’innocence, grâce pour les faibles,
grâce pour les malheureux, grâce pour l’humanité
!
La protection sociale n’est due qu’aux citoyens
paisibles : il n’y a de citoyens dans la
République que les républicains. Les royalistes,
les conspirateurs ne sont, pour elle, que des
étrangers, ou plutôt des ennemis. Cette guerre
terrible que soutient la liberté contre la
tyrannie, n’est-elle pas indivisible ? les
ennemis du dedans ne sont-ils pas les alliés des
ennemis du dehors ? les assassins qui déchirent
la patrie dans l’intérieur ; les intrigants qui
achètent les consciences des mandataires du
peuple ; les traîtres qui les vendent ; les
libellistes mercenaires soudoyés pour déshonorer
la cause du peuple, pour tuer la vertu publique,
pour attiser le feu des discordes civile, et
pour préparer la contre-révolution politique par
la contre-révolution morale ; tous ces gens-là
sont-ils moins coupables ou moins dangereux que
les tyrans qu’ils servent ? Tous ceux qui
interposent leur douceur parricide entre ces
scélérats et le glaive vengeur de la justice
nationale, ressemblent à ceux qui se jetteraient
entre les satellites des tyrans et les
baïonnettes de nos soldats ; tous les élans de
leur fausse sensibilité ne me paraissent que des
soupirs échappés vers l’Angleterre et vers
l’Autriche.
Eh ! pour qui donc s’attendriraient-ils ?
serait-ce pour deux cent mille héros, l’élite de
la nation, moissonnés par le fer des ennemis de
la liberté, ou par les poignards des assassins
royaux ou fédéralistes ? Non, ce n’étaient que
des plébéiens, des patriotes ; pour avoir droit
à leur tendre intérêt, il faut être au moins la
veuve d’un général qui a trahi vingt fois la
patrie ; pour obtenir leur indulgence, il faut
presque prouver qu’on a fait immoler dix mille
Français, comme un général romain, pour obtenir
le triomphe, devait avoir tué, je crois, dix
mille ennemis. On entend de sang-froid le récit
des horreurs commises par les tyrans contre les
défenseurs de la liberté ; nos femmes
horriblement mutilées ; nos enfants massacrés sur
le sein de leurs mères ; nos prisonniers expiant
dans d’horribles tourments leur héroïsme touchant
et sublime ; on appelle une horrible boucherie
la punition trop lente de quelques monstres
engraissés du plus pur sang de la patrie.
On souffre, avec patience, la misère des
citoyennes généreuses qui ont sacrifié à la plus
belle des causes leurs frères, leurs enfants,
leurs époux ; mais on prodigue les plus
généreuses consolations aux femmes des
conspirateurs ; il est reçu qu’elles peuvent
impunément séduire la justice, plaider contre la
liberté la cause de leurs proches et de leurs
complices ; on en a fait presqu’une corporation
privilégiée, créancière et pensionnaire du
peuple.
Avec quelle bonhomie nous sommes encore la dupe
des mots ! Comme l’aristocratie et le
modérantisme nous gouvernent encore par les
maximes meurtrières qu’ils nous ont données !
L’aristocratie se défend mieux par ses
intrigues, que le patriotisme par ses services.
On veut gouverner les révolutions par les
arguties du palais ; on traite les conspirations
contre la république comme les procès des
particuliers. La tyrannie tue, et la liberté
plaide ; et le code fait par les conspirateurs
eux-mêmes, est la loi par laquelle on les juge.
Quand il s’agit du salut de la patrie, le
témoignage de l’univers ne peut suppléer à la
preuve testimoniale, ni l’évidence même à la
preuve littérale.
La lenteur des jugements équivaut à l’impunité,
l’incertitude de la peine encourage tous les
coupables : et cependant on se plaint de la
sévérité de la justice ; on se plaint de la
détention des ennemis de la République. On
chercher ses exemples dans l’histoire des tyrans,
parce qu’on ne veut pas les choisir dans celle
des peuples, ni les puiser dans le génie de la
liberté menacée. A Rome, quand le consul
découvrit la conjuration, et l’étouffa au même
instant par la mort des complices de Catilina,
il fut accusé d’avoir violé les formes, par qui
? par l’ambitieux César qui voulait grossir son
parti de la horde des conjurés, par les Pisons,
les Clodius, et tous les mauvais citoyens qui
redoutaient pour eux-mêmes la vertu d’un vrai
Romain et la sévérité des lois.
Punir les oppresseurs de l’humanité, c’est
clémence ; leur pardonner, c’est barbarie. La
rigueur des tyrans n’a pour principe que la
rigueur : celle du gouvernement républicain part
de la bienfaisance.
Aussi, malheur à celui qui oserait diriger vers
le peuple la terreur qui ne doit approcher que
de ses ennemis ! Malheur à celui qui, confondant
les erreurs inévitables du civisme avec les
erreurs calculées de la perfidie, ou avec les
attentats des conspirateurs, abandonne
l’intrigant dangereux, pour poursuivre le
citoyen paisible ! Périsse le scélérat qui ose
abuser du nom sacré de la liberté, ou des armes
redoutables qu’elle lui a confiées, pour porter
le deuil ou la mort dans le cœur des patriotes
! Cet abus a existé, on ne peut en douter. Il a
été exagéré, sans doute, par l’aristocratie :
mais existât-il dans toute la république qu’un
seul homme vertueux persécuté par les ennemis de
la liberté, le devoir du gouvernement serait de
la rechercher avec inquiétude, et de le venger
avec éclat.
Mais faut-il conclure de ces persécutions
suscitées aux patriotes par le zèle hypocrite
des contre-révolutionnaires, qu’il faut rendre
la liberté aux contre-révolutionnaires, et
renoncer à la sévérité ? Ces nouveaux crimes de
l’aristocratie ne font qu’en démontrer la
nécessité. Que prouve l’audace de nos ennemis,
sinon la faiblesse avec laquelle ils ont été
poursuivis ? Elle est due, en grande partie, à
la doctrine qu’on a prêchée dans ces derniers
temps, pour les rassurer. Si vous pouviez
écouter ces conseils, vos ennemis parviendraient
à leur but, et recevraient de vos propres mains
le prix du dernier de leurs forfaits.
Qu’il y aurait de légèreté à regarder quelques
victoires remportées par le patriotisme, comme
la fin de tous nos dangers. Jetez un coup-d’oeil
sur notre véritable situation : vous sentirez
que la vigilance et l’énergie vous sont plus
nécessaires que jamais. Une sourde malveillance
contrarie partout les opérations du
gouvernement : la fatale influence des cours
étrangères, pour être plus cachée, n’en est ni
moins active, ni moins funeste. On sent que le
crime intimidé n’a fait que couvrir sa marche
avec plus d’adresse.
Les ennemis intérieurs du peuple français se
sont divisés en deux factions, comme en deux
corps d’armée. Elles marchent sous des bannières
de différentes couleurs et par des routes
diverses : mais elles marchent au même but ; ce
but est la désorganisation du gouvernement
populaire, la ruine de la Convention, c’est-à-dire,
le triomphe de la tyrannie. L’une de ces deux
factions nous pousse à la faiblesse, l’autre aux
excès. L’une veut changer la liberté en
bacchante, l’autre en prostituée.
Des intrigants subalternes, souvent même de bons
citoyens abusés, se rangent dans l’un ou l’autre
parti : mais les chefs appartiennent à la cause
des rois ou de l’aristocratie, et se réunissent
toujours contre les patriotes. Les fripons, lors
même qu’ils se font la guerre, se haïssent bien
moins qu’ils ne détestent les gens de bien. La
patrie est leur proie ; ils se battent pour la
partager : mais ils se liguent contre ceux qui
la défendent.
On a donné aux uns le nom de modérés ; il y a
peut-être plus d’esprit que de justesse dans la
dénomination d’ultra-révolutionnaire, par
laquelle on a désigné les autres. Cette
dénomination, qui ne peut s’appliquer dans aucun
cas aux hommes de bonne foi que le zèle et
l’ignorance peuvent emporter au-delà de la saine
politique de la révolution, ne caractérise pas
exactement les hommes perfides que la tyrannie
soudoie pour corrompre, par des applications
fausses ou funestes, les principes sacrés de
notre Révolution.
Le faux révolutionnaire est peut-être plus
souvent encore en-deçà qu’au-delà de la
Révolution : il est modéré, il est fou de
patriotisme, selon les circonstances. On arrête
dans les comités prussiens, anglais, autrichiens,
moscovites même, ce qu’il pensera le lendemain.
Il s’oppose aux mesures énergiques, et les
exagère quand il n’a pu les empêcher : sévère
pour l’innocence, mais indulgent pour le crime :
accusant même les coupables qui ne sont point
assez riches pour acheter son silence, ni assez
importants pour mériter son zèle ; mais se
gardant bien de jamais se compromettre au point
de défendre la vertu calomniée : découvrant
quelquefois des complots découverts, arrachant
le masque à des traîtres démasqués et même
décapités ; mais prônant les traîtres vivants et
encore accrédités : toujours empressé à caresser
l’opinion du moment, et non moins attentif à ne
jamais l’éclairer, et surtout à ne jamais la
heurter : toujours prêt à adopter les mesures
hardies, pourvu qu’elles aient beaucoup
d’inconvénients : calomniant celles qui ne
présentent que des avantages, ou bien y ajoutant
tous les amendements qui peuvent les rendre
nuisibles : disant la vérité avec économie, et
tout autant qu’il faut pour acquérir le droit de
mentir impunément : ditillant le bien
goutte-à-goutte, et versant le mal par torrents :
plein de feu pour les grandes résolutions qui ne
signifient rien ;plus qu’indifférent pour celles
qui peuvent honorer la cause du peuple et sauver
la patrie : donnant beaucoup aux formes du
patriotisme ; très-attaché, comme les dévots
dont il se déclare l’ennemi, aux pratiques
extérieures, il aimerait mieux user cent bonnets
rouges que de faire une bonne action.
Quelle différence trouvez-vous entre ces gens-là
et vos modérés ? ce sont des serviteurs employés
par le même maître, ou, si vous voulez, des
complices qui feignent de se brouiller pour
mieux cacher leurs crimes. Jugez-les, non par la
différence du langage, mais par l’identité des
résultats. Celui qui attaque la Convention
nationale par des discours insensés, et celui
qui la trompe pour la compromettre, ne sont-ils
pas d’accord ? Celui qui, par d’injustes
rigueurs, force le patriotisme à trembler pour
lui-même, invoque l’amnistie en faveur de
l’aristocratie et de la trahison. Tel appelait
la France à la conquête du monde, qui n’avait
d’autre but que d’appeler les tyrans à la
conquête de la France. L’étranger hypocrite qui,
depuis cinq années, proclame Paris la capitale
du globe, ne faisait que traduire, dans un autre
jargon, les anathèmes des vils fédéralistes qui
vouaient Paris à la destruction. Prêcher
l’athéisme n’est qu’une manière d’absoudre la
superstition et d’accuser la philosophie ; et la
guerre déclarée à la divinité, n’est qu’une
diversion en faveur de la royauté.
Quelle autre méthode reste-t-il de combattre la
liberté ?
Ira-t-on, à l’exemple des premiers champions de
l’aristocratie, vanter les douceurs de la
servitude et les bienfaits de la monarchie, le
génie surnaturel et les vertus incomparables des
rois.
Ira-t-on proclamer la vanité des droits de
l’homme et des principes de la justice éternelle
?
Ira-t-on exhumer la noblesse et le clergé, ou
réclamer les droits imprescriptibles de la haute
bourgeoisie à leur double succession ?
Non. Il est bien plus commode de prendre le
masque du patriotisme pour défigurer, par
d’insolentes parodies, le drame sublime de la
Révolution, pour compromettre la cause de la
liberté par une modération hypocrite, ou par des
extravagances étudiées.
Aussi l’aristocratie se constitue en sociétés
populaires ; l’orgueil contre-révolutionnaire
cache, sous des haillons, ses complots et ses
poignards ; le fanatisme brise ses propres
autels ; le royalisme chante les victoires de la
République ;la noblesse, accablée de souvenirs,
embrasse tendrement l’égalité pour l’étouffer ;
la tyrannie, teinte du sang des défenseurs de la
liberté, répand des fleurs sur leur tombeau. Si
tous les cœurs ne sont pas changés, combien de
visages sont masqués ! combien de traîtres ne se
mêlent de nos affaires que pour les ruiner !
Voulez-vous les mettre à l’épreuve,
demandez-leur, au lieu de serment et de
déclaration, des services réels ?
Faut-il agir ? Ils pérorent. Faut-il délibérer ?
Ils veulent commencer par agir. Les temps
sont-ils paisibles ? Ils s’opposeront à tout
changement utile. Sont-ils orageux ? Ils
parleront de tout réformer, pour bouleverser
tout. Voulez-vous contenir les séditieux ? Ils
vous rappellent la clémence de César.
Voulez-vous arracher les patriotes à la
persécution ? Ils vous proposent pour modèle la
fermeté de Brutus ; ils découvrent qu’un tel a
été noble, lorsqu’il sert la république ; ils ne
s’en souviennent plus dès qu’il la trahit. La
paix est-elle utile ? Ils vous étalent les
palmes de la victoire. La guerre est-elle
nécessaire ? Ils vantent les douceurs de la paix.
Faut-il défendre le territoire ? Ils veulent
aller châtier les tyrans au-delà des monts et
des mers. Faut-il reprendre nos forteresse ? Ils
veulent prendre d’assaut les églises et
escalader le ciel. Ils oublient les Autrichiens
pour faire la guerre aux dévotes. Faut-il
appuyer notre cause de la fidélité de nos alliés
? Ils déclameront contre tous les gouvernements
du monde, et vous proposeront de mettre en état
d’accusation le grand Mogol lui-même. Le peuple
va-t-il au Capitole rendre grâce de ses
victoires ? ils entonnent des chants lugubres
sur nos revers passés. S’agit-il d’en remporter
de nouvelles ? Ils sèment, au milieu de nous,
les haines, les divisions, les persécutions et
le découragement. Faut-il réaliser la
souveraineté du peuple et concentrer sa force
par un gouvernement ferme et respecté ? Ils
trouvent que les principes du gouvernement
blessent la souveraineté du peuple. Faut-il
réclamer les droits du peuple opprimé par le
gouvernement ? Ils ne parlent que du respect
pour les lois, et de l’obéissance due aux
autorités constituées.
Ils ont trouvé un expédient admirable pour
seconder les efforts du gouvernement républicain
: c’est de le désorganiser, de le dégrader
complètement, de faire la guerre aux patriotes
qui ont concouru à nos succès.
Cherchez-vous les moyens d’approvisionner vos
armées ? vous occupez-vous d’arracher à
l’avarice et à la peur les subsistances qu’elles
resserrent ? Ils gémissent patriotiquement sur
la misère publique et annoncent la famine. Le
désir de prévenir le mal est toujours pour eux
un motif de l’augmenter. dans le Nord, on a tué
les poules, et on nous a privé des oeufs, sous
le prétexte que les poules mangent du grain.
Dans le Midi il a été question de détruire les
mûriers et les orangers, sous le prétexte que la
soie est un objet de luxe, et les oranges une
superfluité.
Vous ne pourriez jamais imaginer certains excès
commis par des contre-révolutionnaires
hypocrites, pour flétrir la cause de la
Révolution. Croiriez-vous que dans les pays où
la superstition a exercé le plus d’empire, non
contents de surcharger les opérations relatives
au culte, de toutes les formes qui pouvaient les
rendre odieuses, on a répandu la terreur parmi
le peuple, en semant le bruit qu’on allait tuer
tous les enfants au-dessous de dix ans et tous
les vieillards au-dessus de soixante-dix ans ?
que ce bruit a été répandu particulièrement dans
la ci-devant Bretagne, et dans les départements
du Rhin et de la Moselle ? C’est un crime imputé
au ci-devant accusateur public du tribunal
criminel de Strasbourg. Les folies tyranniques
de cet homme rendent vraisemblable tout ce que
l’on raconte de Caligula et d’Héliogabale ; mais
on ne peut y ajouter foi, même à la vue des
preuves. Il poussait le délire jusqu’à mettre
les femmes en réquisition pour son usage : on
assure même qu’il a employé cette méthode pour
se marier. D’où est sorti tout-à-coup cet essaim
d’étrangers, de prêtres, de nobles, d’intrigants
de toute espèce, qui au même instant s’est
répandu sur la surface de la République, pour
exécuter, au nom de la philosophie, un plan de
contre-révolution, qui n’a pu être arrêté que
par la force de la raison publique ? Exécrable
conception, digne du génie des cours étrangères
liguées contre la Liberté, et de la corruption
de tous les ennemis intérieurs de la République
!
C’est ainsi qu’aux miracles continuels opérés
par la vertu d’un grand peuple, l’intrigue mêle
toujours la bassesse de ses trames criminelles,
bassesse commandée par les tyrans, et dont ils
font ensuite la matière de leurs ridicules
manifestes, pour retenir les peuples ignorants
dans la fange de l’opprobre et dans les chaînes
de la servitude.
Eh ! que font à la liberté les forfaits de ses
ennemis ? Le soleil, voilé par un nuage passager,
en est-il moins l’astre qui anime la nature ?
l’écume impure que l’Océan repousse sur ses
rivages le rend-elle moins imposant ?
Dans des mains perfides, tous les remèdes à nos
maux deviennent des poisons ; tout ce que vous
pouvez faire, tout ce que vous pouvez dire, ils
le tourneront contre vous ; même les vérités que
nous venons de développer.
Ainsi, par exemple, après avoir disséminé
partout les germes de la guerre civile, par
l’attaque violente contre les préjugés religieux,
ils chercheront à armer le fanatisme et
l’aristocratie des mesures même que la saine
politique vous a prescrite en faveur de la
liberté des cultes. Si vous aviez laissé un
libre cours à la conspiration, elle aurait
produit, tôt ou tard, une réaction terrible et
universelle ; si vous l’arrêtez, ils chercheront
encore à en tirer parti, en persuadant que vous
protégez les prêtres et les modérés.
Il ne faudra pas même vous étonner si les
auteurs de ce système sont les prêtres qui
auront le plus hardiment confessé leur
charlatanisme.
Si les patriotes, emportés par un zèle pur, mais
irréfléchi, ont été quelque part les dupes de
leurs intrigues, ils rejetteront tout le blâme
sur les patriotes ; car le premier point de leur
doctrine machiavélique est de perdre la
République, en perdant les Républicains, comme
un subjugue un pays en détruisant l’armée qui le
défend. On peut apprécier par-là un de leurs
principes favoris, qui est qu’il faut compter
pour rien les hommes ; maxime d’origine royale,
qui veut dire qu’il faut leur abandonner tous
les amis de la Liberté.
Il est à remarquer que la destinée des hommes
qui ne cherchent que le bien public, est d’être
les victimes de ceux qui se cherchent eux-mêmes,
ce qui vient de deux causes ; la première, que
les intrigants attaquent avec les vices de
l’ancien régime ; la seconde, que les patriotes
ne se défendent qu’avec les vertus du nouveau.
Une telle situation intérieure doit vous
paraître digne de toute votre attention, surtout
si vous réfléchissez que vous avec en même temps
les tyrans de l’Europe à combattre, douze cent
mille homme sous les armes à entretenir, et que
le gouvernement est obligé de réparer
continuellement, à force d’énergie et de
vigilance, tous les maux que la multitude
innombrable de nos ennemis nous a préparés
pendant le cours de cinq ans.
Quel est le remède de tous ces maux ? Nous n’en
connaissons point d’autre que le développement
de ce ressort général de la République, la vertu.
La démocratie périt par deux excès,
l’aristocratie de ceux qui gouvernent, ou le
mépris du peuple pour les autorités qu’il a
lui-même établies ; mépris qui fait que chaque
coterie, que chaque individu attire à lui la
puissance publique, et ramène le peuple, par
l’excès de désordre, à l’anéantissement, ou au
pouvoir d’un seul.
La double tâche des modérés et des faux
révolutionnaires est de nous ballotter
perpétuellement entre ces deux écueils.
Mais les représentants du peuple peuvent les
éviter tous deux ; car le gouvernement est
toujours le maître d’être juste et sage ; et
quand il a ce caractère, il est sûr de la
confiance du peuple.
Il est bien vrai que le but de tous nos ennemis
est de dissoudre la Convention : il est vrai que
le tyran de la Grande-Bretagne et ses alliés
promettent à leur parlement et à leurs sujets de
vous ôter votre énergie et la confiance publique
qu’elle vous a méritée ; que c’est là la
première instruction de tous leurs commissaires.
Mais c’est une vérité qui doit être regardée
comme triviale en politique, qu’un grand corps
investi de la confiance d’un grand peuple ne
peut se perdre par lui-même ; vos ennemis ne
l’ignorent pas : ainsi vous ne doutez pas qu’ils
s’appliquent surtout à réveiller au milieu de
vous toutes les passions qui peuvent seconder
leurs sinistres desseins.
Que peuvent-ils contre la représentation
nationale, s’ils ne parviennent à lui surprendre
des actes impolitiques qui puissent fournir des
prétextes à leurs criminelles déclamations ? Ils
doivent donc désirer nécessairement d’avoir deux
espèces d’agents, les uns qui chercheront à la
dégrader par leurs discours, les autres, dans
son sein même, qui s’efforceront de la tromper,
pour compromettre sa gloire et les intérêts de
la République.
Pour l’attaquer avec succès, il était utile de
commencer la guerre contre les représentants dans
les départements, qui avaient justifié votre
confiance, et contre le Comité se salut public ;
aussi ont-ils été attaqués par des hommes qui
semblent se combattre entr’eux.
Que pouvaient-ils faire de mieux que de
paralyser le gouvernement de la Convention, et
d’en briser tous les ressorts, dans le moment
qui doit décider du sort de la République et des
tyrans ?
Loin de nous l’idée qu’il existe encore au
milieu de nous un seul homme assez lâche pour
vouloir servir la cause des tyrans ! mais plus
loin de nous encore le crime, qui ne nous serait
point pardonné, de tromper la Convention
nationale, et de trahir le peuple français par
un coupable silence ! car il y a cela d’heureux
pour un peuple libre, que la vérité, qui est le
fléau des despotes, est toujours sa force et son
salut. Or il est vrai qu’il existe encore pour
notre liberté un danger, le seul danger sérieux
peut-être qui lui reste à courir : ce danger est
un plan qui a existé, de rallier tous les
ennemis de la République, en ressuscitant
l’esprit de parti ; de persécuter les patriotes,
de décourager, de perdre les agents fidèles du
gouvernement républicain, de faire manquer les
parties les plus essentielles du service public.
On a voulu tromper la Convention sur les hommes
et sur les choses ; on a voulu lui donner le
change sur les causes des abus qu’on exagère,
afin de les rendre irrémédiables ; on s’est
étudié à la remplir de fausses terreurs, pour
l’égarer ou pour la paralyser ; on cherche à la
diviser ; on a chercher à diviser surtout les
représentants envoyés dans les départements, et le
Comité de salut public ;on a voulu induire les
premiers à contrarier les mesures de l’autorité
centrale, pour amener le désordre et la
confusion ; on a voulu les aigrir à leur retour,
pour les rendre, à leur insu, les instruments
d’une cabale. Les étrangers mettent à profit
toutes les passions particulières, et jusqu’au
patriotisme abusé.
On avait d’abord pris le parti d’aller droit au
but, en calomniant le Comité de salut public ;
on se flattait alors hautement qu’il
succomberait sous le poids de ses pénibles
fonctions. La victoire et la fortune du peuple
français l’ont défendu. Depuis cette époque, on
a pris le parti de le louer en le paralysant et
en détruisant le fruit de ses travaux. Toutes
ces déclamations vagues contre des agents
nécessaire du Comité, tous les projets de
désorganisation, déguisés sous le nom de
réformes, déjà rejetés par la Convention, et
reproduits aujourd’hui avec une affectation
étrange ; cet empressement à prôner des
intrigues que le Comité de salut public a dû
éloigner ; cette terreur inspirée aux bons
citoyens, cette indulgence dont on flatte les
conspirateurs, tout ce système d’imposture et
d’intrigue, dont le principal auteur est un
homme que vous avez repoussé de votre sein, est
dirigé contre la Convention nationale, et tend à
réaliser les vœux de tous les ennemis de la
France.
C’est depuis l’époque où ce système a été
annoncé dans les libelles, et réalisé par des
actes publics, que l’aristocratie et le
royalisme ont commencé à relever une tête
insolente, que le patriotisme a été de nouveau
persécuté dans une partie de la République, que
l’autorité nationale a éprouvé une résistance
dont les intrigants commençaient à perdre
l’habitude. Au reste, ces attaques indirectes
n’eussent-elles d’autre inconvénient que de
partager l’attention et l’énergie de ceux qui
ont à porter le fardeau immense dont vous les
avez chargés, et de les distraire trop souvent
des grandes mesures de salut public, pour
s’occuper de déjouer des intrigues dangereuses ;
elles pourraient encore être considérées comme
une diversion utile à nos ennemis.
Mais, rassurons-nous ; c’est ici le sanctuaire
de la vérité ; c’est ici que résident les
fondateurs de la République, les vengeurs de
l’humanité et les destructeurs de tyrans.
Ici, pour détruire un abus, il suffit de
l’indiquer. il nous suffit d’appeler, au nom de
la patrie, des conseils de l’amour-propre ou de
la faiblesse des individus, à la vertu et à la
gloire de la Convention nationale.
Nous provoquons sur tous les objets de ses
inquiétudes, et surtout ce qui peut influer sur
la marche de la Révolution, une discussion
solennelle ; nous la conjurons de ne pas
permettre qu’aucun intérêt particulier et caché
puisse usurper ici l’ascendant de la volonté
générale de l’Assemblée, et la puissance
indestructible de la raison.
Nous nous bornerons aujourd’hui à vous proposer
de consacrer, par votre approbation formelle,
les vérités morales et politiques sur lesquelles
doivent être fondées votre administration
intérieure et la stabilité de la République,
comme vous avez déjà consacré les principes de
votre conduite envers les peuples étrangers :
par-là vous rallierez tous les bons citoyens,
vous ôterez l’espérance aux conspirateurs ; vous
assurerez votre marche, et vous confondrez les
intrigues et les calomnies des rois ; vous
honorerez votre cause et votre caractère aux
yeux de tous les peuples.
Donnez au peuple français ce nouveau gage de
votre zèle pour protéger le patriotisme, de
votre justice inflexible pour les coupables, et
de votre dévouement à la cause du peuple.
Ordonnez que les principes de morale politique
que nous venons de développer seront proclamés,
en votre nom, au dedans et au dehors de la
République.
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